Coup de gueule : cyberworldcleanupday, une fausse bonne idée ?

C’est la mode : le jour de ceci, le jour de cela… On sort de celui du droit des femmes, et voici que réapparait le « CyberWorldCleanupDay ».

Pourquoi un jour ?

Alors, évacuons tout de suite cette première remarque : communiquer sur ce qu’il faut faire un jour, ou même une semaine, et ne plus s’en occuper le reste du temps, ça a déjà été relevé par beaucoup. Ce sont souvent des préoccupations qu’il faut avoir tout au long de l’année, par seulement lors de la manifestation.

« Nettoyer » le monde « Cyber », vraiment ?

Ce qui m’a fait réagir : la « To Do List » du Cyber World Cleanup Day :

  • Trier et organiser votre ordinateur,
  • Nettoyer votre boite mail,
  • Trier, supprimer vos applications,
  • Trier et ranger vos photos,
  • Trier et supprimer vos conversations
  • Nettoyer vos réseaux sociaux.

Alors on nous présente tout cela comme une évidence : sur la page de l’organisme organisateur, on lit « Les fichiers devenus inutilisables ou obsolètes sur nos équipements occupent de l’espace disque. S’ils consomment de l’énergie inutilement, ils entraînent aussi et surtout un renouvellement plus rapide de nos équipements ou l’achat de nouveaux équipements pour stocker plus. Cet effet rebond du stockage est particulièrement impactant pour la planète. »

Une bonne justification pour se lancer ! Alors, allons-y ! Ou pas…

Quel est l’objectif ? Préserver la planète ? Diminuer les émissions de CO² ? En vous incitant à utiliser vos ordinateurs pour ça, en créant un site web pour en faire la promotion, en diffusant des publicités pour ça ?

Pour quel bilan ?

Sur leur page, ils annoncent avoir supprimé 22To de données en mobilisant 6500 personnes…

Alors, 22To, est-ce important ? Sur leur page d’accueil, ils expliquent eux-mêmes que « Selon une étude de International Data Corporation (IDC), la capacité de stockage mondiale pourrait atteindre 11,7 zettaoctets (11,7 milliards de teraoctets) en 2023″.

Rien que sur mon NAS, je dois avoir plus de 10To de stockage utilisé. Mobiliser 6500 personnes pour un tel résultat… Je n’ose imaginer le bilan carbone de l’agitation produite pour un résultat infinitésimal.

Mais pourquoi s’attaquer au stockage des données ?

Toujours sur la même page, on apprend que « entre 1 et 2% seulement des données créées ou répliquées chaque année sont sauvegardées ou stockées pour une période donnée ».

Quand on connait un peu le fonctionnement d’un ordinateur, on sait que les données que l’on stocke dans un disque dur, par exemple, ne consomment pas d’énergie. Si votre ordinateur est équipé d’un disque de 1To, par exemple, qu’il soit rempli à 1 ou 95% ne changera absolument rien à sa consommation électrique. Vous pouvez effacer 949Go de données sur ce disque, le seul impact sera d’avoir fait fonctionner l’ordinateur le temps de ce nettoyage, et c’est cette opération qui, elle, aura un impact sur la consommation d’énergie (et donc la production de Co²) et l’usure du matériel. Pire : si ces données, au lieu d’être stockées sur votre ordinateur, le sont dans « le cloud » (c’est-à-dire dans des serveurs d’un datacenter lointain), vous allez non seulement utiliser votre ordinateur, mais également solliciter toute une chaine d’équipements (box, routeurs, firewalls, en terminant par le serveur qui héberge, à l’autre bout de la chaine). Chacun de ces équipements aura sa propre consommation électrique, son dégagement de chaleur.

Mais, si, comme ils nous l’apprennent, seulement 1 à 2% des données utilisées sont stockées, et que le transport des données consomme plus d’énergie que les données stockées auxquelles on n’accède pas, pourquoi s’intéresser à ces 1 à 2%, et non aux 98% qui consomment ?

Donc, si l’on doit avoir un impact positif, il vaudrait peut-être mieux se pencher sur l’usage des données que leur stockage. Quels sont les principaux usages qui génèrent du trafic sur Internet ? Voici un élément de réponse, mais datant de 2019 : 61% pour le streaming vidéo, 13,1% pour le surf sur le Web, seulement 1,6% pour la messagerie… Passez quelques heures à nettoyer vos boites mail : vous aurez un petit impact négatif en produisant un peu de Co², et, ayant bonne conscience après avoir répondu aux injonctions de cyberworldcleanupday.fr,  vous pourrez vous détendre devant un bon film sur une plateforme de streaming ou le site de replay d’une chaine (tout en ayant, là, un effet désastreux en termes de Co²).

Note : il serait intéressant de connaitre l’évolution de ces chiffres depuis un an, les usages s’étant modifiés avec la pandémie : augmentation du streaming, télétravail, visoconférences…

Alors, nettoyer ? Oui, si c’est pour améliorer votre organisation, vous y retrouver dans tous ces fichiers, éliminer les doublons, ce qui est obsolète et retrouver plus facilement ce qui vous sert, si c’est pour diminuer la taille de vos sauvegardes et avoir plus d’historique… Il y a de nombreuses bonnes raisons de le faire, mais les émissions de Co² ne me semblent pas en faire partie.

Mais ce n’est pas fini, il y a pire :

« La fabrication d’un PC ou d’un téléphone neuf a de multiples impacts environnementaux : consommation de matières premières, consommation d’énergie et émission de gaz à effet de serre. Sur l’ensemble du cycle de vie des équipements informatiques, c’est la fabrication qui génère le plus de pollution, bien plus que son usage.

Par exemple, fabriquer un PC portable va générer en moyenne 330 kg de CO2, alors que son utilisation pendant 1 an n’en générera que 3 kg.

Le rapport d’impacts environnementaux entre la fabrication et l’usage est considérable (de 1 à 100) » Les ateliers du Bocage et leur site dédié solidatech.fr qui nous expliquent ceci sont spécialisés dans le recyclage de matériel informatique.

Si je récapitule, le « ménage » qui nous est proposé va concerner 1 à 2% des usages informatiques, qui ne représentent eux-mêmes que 1 à 10% de l’impact environnemental de la fabrication des matériels informatiques.

Ne serait-on pas en train de nous focaliser sur une opération de communication visant à nous donner bonne conscience, pour continuer à regarder le dernier blockbuster sur RéseauFlix avec notre PC Gamer surpuissant flambant neuf, tout en tapotant sur notre iTéléphone 15 ? Ah, non, je suis en train de virer complotiste, moi… #détournement d’attention.

Que faire ?

Pour ne pas rester sur une note négative, et simplement critiquer cette proposition de « nettoyage », si nous voulons avoir une action efficace, voici quelques propositions :

  • Revendre son ordinateur, arrêter son abonnement Internet, remplacer son smartphone dernier cri par un simple téléphone et commencer une nouvelle vie déconnectée… Un peu extrême et peux d’entre nous y sont prêts.
  • Limiter son usage d’Internet : fermer tous ses comptes de réseaux sociaux, limiter les envois de mails ou de documents, ne pas regarder de vidéos en streaming, regarder uniquement la TNT et écouter la radio FM. Là encore, ce sera difficile.
  • Éviter de céder à la tentation de remplacer tous les 2 ou 3 ans ordinateur ou smartphone, essayer de les faire durer.

Depuis deux ans, nous nous efforçons de proposer des forfaits de remise à niveau d’ordinateurs. Il suffit la plupart du temps, sur les ordinateurs de moins de 10 ans, de remplacer les disques durs « mécaniques » par des disques « SSD », de les remettre à jour et parfois de rajouter un peu de mémoire, pour leur redonner une deuxième jeunesse et doubler leur durée de vie, en évitant ainsi de remplir nos poubelles avec des déchets polluants. N’hésitez pas à nous consulter !

Alors après avoir écrit ceci, je me fais l’effet d’un vieux grincheux. Je n’ai rien contre l’INR, à l’origine de cette manifestation, leurs intentions sont louables (réduire l’empreinte énergétique du numérique), mais tout ceci, avec mes petites connaissances informatiques, me parait inefficace, voire contre-productif. Alors, non, je n’afficherai pas dans quelques jours fièrement ici ou ailleurs, comme beaucoup ne manqueront pas de le faire, « XXX tonnes de Co² économisés », je préfère consacrer mon temps à améliorer quelques vieux PCs pour qu’ils retrouvent un usage au lieu de partir à la poubelle, même si cette opération n’est absolument pas rentable financièrement.